Le Salut Guyanais : Petite histoire de la colonisation guyanaise et des Îles du Salut

Le Salut Guyanais : Petite histoire de la colonisation guyanaise et des Îles du Salut

30 mars 2019 3 Par Florian


La première impression du sol guyanais peut parfois rebuter. De part l’humidité, la chaleur et la faune peu accueillante, le métropolitain peut vite se sentir perdu, et ce malgré la présence de l’air climatisé et de l’anti-moustique. Imaginez donc quel ne fut pas le malaise dans lequel se retrouvèrent plongés les premiers colons envoyés en ces terres.

Les débuts de la colonisation en Guyane

Au début du 17ème siècle, la France arrive pour la première fois en Guyane. Les colons d’alors ne resteront pas longtemps sous le poids du climat, des maladies tropicales, et des tribus amérindiennes ne se laissant pas faire. Les français revinrent cependant au milieu du 17ème siècle pour fonder Cayenne mais les mêmes raisons les feront partir à nouveau. La fin du siècle verra une présence éparse des hollandais et des français ainsi que des conflits entre français et anglais. Après la perte des colonies canadiennes, Louis XV envoie en 1763 une expédition pour coloniser massivement le territoire guyanais. C’est aux alentours de Kourou que débarqueront alors les colons. Et encore une fois ce sera un échec. Le climat, les installations insalubres difficilement implantées dans la jungle épaisse et les épidémies de fièvre jaune se profilant chasseront encore les français. Mais Kourou avait une particularité : un archipel d’îles, l’un des seuls sur toute la côte à des milliers de kilomètres à la ronde.


Carte de la Guyane (1763)

La découverte des Îles

Sur ces îles le climat était plus doux, l’humidité se faisait moins lourde, la faune était bien moins agressive et pouvait se chasser ou se pêcher sans problèmes. La flore était également moins dense et permettait les constructions humaines sans les problèmes du continent. Ce fût ces îles qui permirent aux colons de survivre : d’où leurs nom d’Îles du Salut.


La mise en place du bagne

Quelques années plus tard, quand la colonisation guyanaise s’organisa et prit réellement forme, on fit venir des esclaves sur les îles pour les défricher avant de rapatrier les survivants sur les chantiers du continent. Il fallut ensuite attendre 1793 et la Première République pour que ces Îles du Salut deviennent le “triangle maudit”. En effet, il fut décidé d’y construire un bagne pour prisonniers politiques issues de la Révolution. Les premiers à l’inaugurer étant les prêtres réfractaires.

Lorsque la deuxième République abolit l’esclavage en 1848, on décida de remplacer les esclaves par des bagnards pour une partie des travaux dans la colonie. Ce fût quelques 70 000 bagnards qui passeront par là. Le bagne des Îles du Salut était alors réputé pour être l’un des plus durs, avec celui des Annamites au fond de la jungle, par rapport aux bagnes de Cayenne et de Saint-Laurent-du-Maroni (frontière nord-ouest de la Guyane).


Organisation du bagne

L’Île Royale était l’île principale, on y trouvait les bâtiments administratifs et d’accueil, les bâtiments utilitaires (abattoirs, porcherie, asile, hôpital), l’église ainsi que les cellules des bagnards servant sur l’île et les autres quartiers pénitentiaires.


Vue sur le phare et l’hôpital de l’île Royale (gravure d’un tableau de Préfénato)

L’île Saint-Joseph, au sud, était qualifiée, quant à elle, d’île du silence. On y envoyait en réclusion ceux qui avaient tenté de s’échapper ou qu’on avait décidé de punir plus sévèrement, et il était interdit pour eux d’y parler. Ces derniers étaient dans des cellules d’un ou deux mètres carrés, sans aucunes commodités et à ciel ouvert. Depuis la grille qui leur servait de plafond et d’unique ouverture, les gardiens les épiaient, ne leur laissant aucune intimité. Lors des périodes les plus chaudes de l’année, ces cellules devenaient de véritables étuves avec des températures dépassant les 40 °C. Lors des périodes les plus humides, ces dernières se gorgeaient d’eau et de boue, amenant insectes et maladies.


Cellule à ciel ouvert de l’île Saint-Joseph

Enfin, l’île du diable, au nord, servit longtemps de léproserie pour mettre en quarantaine les bagnards. Si elle est aujourd’hui recouverte de palmiers, elle était à l’époque un bloc aride, à la végétation quasi inexistante.


Vue sur l’île du Diable depuis l’île Royale

Bagnards célèbres et fin du bagne

Parmis les bagnards notables, on retrouve un grand nombre de communards, d’anarchistes ou de syndicalistes. Les plus connus des occupants étant Henri Charrière, auteur du célèbre Papillon, et Alfred Dreyfus. Ce dernier fera connaître le bagne et ses conditions à travers ses témoignages, il racontera la chaleur intenable, les moustiques et leurs centaines de piqûres journalière, les maladies, l’absence d’hygiène, l’humiliation, la folie.


Alfred Dreyfus (1859-1935)

La folie. Cela résume bien l’idée qui a pu pousser à la construction du bagne en cet endroit. Il fut le refuge des premiers colons, les sauvant de la mort certaine que leur promettait la jungle. Pour nous autres contemporains, qui visitons cette île, elle est l’exemple parfait de l’île paradisiaque : entre les cocotiers, les criques, les singes qui se baladent de branches en branches, juste au dessus des agoutis, les petits rongeurs locaux. Il aura pourtant fallu attendre 1947 pour que le bagne soit fermé.


Agouti sur l’île Royale

Aujourd’hui, l’archipel est la propriété du CNES en raison de son emplacement sur la trajectoire des lanceurs. C’est donc l’occasion de laisser s’épanouir la faune et la flore, et bien entendu de la protéger. Mais c’est également l’occasion pour nous de se rappeler, se rappeler de quoi nous avons été capable, se rappeler à quel  niveau nous avons rabaissé la condition humaine pour simplement punir. Laissons maintenant cette île simplement être un paradis.